Tuesday, December 22, 2009

Le GPS veut ma peau

(texte original : « I’m pretty sure it’s pronounced “Wesley-Ann” » de Jenny Lawson, mis en ligne ici le 3 septembre 2009)

Une conversation téléphonique avec mon mari, après que je me suis perdue pour la 8 000e fois…

Moi : Allo ?

Victor : Tu es où ? Ça fait une heure que tu es partie.

Moi : Je suis perdue. Ne me crie pas dessus.

Victor : Mais enfin, tu es juste partie chercher du lait ! Tu as été à ce magasin des centaines de fois.

Moi : Oui, mais jamais la nuit. Tout a l’air différent et je ne voyais pas les panneaux et je crois avoir raté un carrefour et je suis en train de conduire au hasard en espérant voir quelque chose que je reconnais.

Victor : Bon sang, comment tu fais pour te paumer à chaque fois que tu quittes la maison ?

Moi : Je crois que je ne suis même plus au Texas.

Victor : Putain d—

Moi : NE ME CRIE PAS DESSUS.

Victor : Je ne te crie pas dessus. Bref, allume le GPS et tape notre adresse.

Moi : Je l’ai laissé à la maison.

Victor : Mais enfin, t’es complètement timbrée ?!

Moi : Tu as dit que tu ne me crierais pas dessus !

Victor : C’était avant que tu laisses le TomTom à la maison. C’EST JUSTEMENT POUR TOI QUE JE L’AI ACHETÉ.

Moi : Tu peux pas juste me dire comment rentrer à la maison ?

Victor : Comment est-ce que je peux t’aider à rentrer, Jenny ? JE SAIS PAS OÙ TU ES.

Moi : Bon, alors… il y a beaucoup d’arbres. Et des buissons. Ou peut-être que c’est des chevaux. Il fait trop noir pour être sûr.

Victor : Ah oui, je vois exactement où tu es.

Moi : Vraiment ?

Victor : Non. Tu es dans un endroit où il y a peut-être des buissons, mais peut-être pas. Ça m’avance beaucoup.

Moi : Merde. Bon, il faut que je trouve un panneau de rue.

Victor : Il FAUT que tu penses à mettre le GPS dans ta voiture.

Moi : Non. Je ne veux plus l’utiliser.

Victor : Et pourquoi pas ?!

Moi : Il essaie de me tuer.

Victor : *

Moi : Tu te souviens, la semaine dernière, quand j’ai dû aller en ville et que j’avais imprimé un itinéraire sur Internet, et tu m’as fait prendre le GPS au cas où, et puis à mi-chemin la voix du GPS s’est mise à faire « Tournez à gauche » et moi je lui ai dit « Non. L’itinéraire dit d’aller tout droit » et elle a insisté « TOURNEZ À GAUCHE MAINTENANT » et moi je disais « Que dalle, pouffiasse » alors elle s’est mise à soupirer genre elle était vexée et répétait tout le temps « Calcul du nouvel itinéraire » avec son air de pimbêche, et puis elle a dit « TOURNEZ À GAUCHE MAINTENANT ! » alors j’ai paniqué et j’ai tourné à gauche comme elle a dit, mais là elle s’est mise à refaire « Calcul du nouvel itinéraire. Calcul du nouvel itinéraire » et moi je lui fais « JE VIENS DE FAIRE EXACTEMENT CE QUE TU M’AS DIT. C’EST QUOI TON PROBLÈME, CONNASSE ? »

Victor : Tu refuses d’utiliser le GPS parce que tu n’apprécies pas le ton de sa voix synthétique ?

Moi : Non, ça c’était juste le début. Après elle m’a dit de tourner sur West Lion Street , mais comme il n’existe pas de West Lion Street j’ai fait toute une série de demi-tours sauvages avant de m’apercevoir qu’en fait elle prononçait mal « Wesley-Ann Street ». Sans doute exprès.

Victor : C’est « Weslayan Street ». Tu n’as toujours pas vu de panneau de rue, là ?

Moi : Ah. Pardon. J’ai un peu oublié que j’étais au volant.

Victor : Tu as oublié que tu étais au volant… pendant que tu étais au volant ?

Moi : C’est bon, je suis pas rentrée dans une vache. J’avais juste oublié que je devais garder l’œil ouvert pour un panneau.

Victor : Si jamais tu parviens à rentrer, je planque les clefs de ta voiture.

Moi : En tout cas, j’ai dit « Bon, l’une de nous ne sait pas prononcer “Wesley-Ann” et l’une de nous est perdue, et je crois que c’est peut-être moi dans les deux cas », mais c’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée qui sera peut-être la plus grande invention de l’histoire de l’humanité.

Victor : Un panneau. Trouve un panneau de rue.

Moi : J’en ai pas vu. Je crois que je suis sur une autoroute maintenant. Demande-moi c’est quoi mon idée de génie.

Victor : Non.

Moi : Le GPS pour cons.

Victor : *

Moi : Je suis complètement sérieuse. Tu vois, je suis nulle en indications mais fortiche en points de repère, alors si tu me dis « Prends Main Street vers le nord » je suis foutue, mais si tu dis « Tourne là où le Burger King a brulé l’an dernier » je vois très bien où aller, et on devrait construire un GPS qui marcherait comme ça.

Victor : *soupir*

Moi : Et là où ça serait dément, c’est qu’on pourrait faire qu’il s’adapte à toi de manière personnalisée. Donc si je dis « Tiens, un clochard qui se branle » il enregistrerait ça dans sa base de données, et la prochaine fois que je dois aller quelque part, au lieu de balancer des noms de rue à tout va le GPS dirait « Tu sais, là où le clochard se masturbait ? C’est là qu’on va. Prends à gauche au niveau du Sonic qui fait des bons hamburgers. Prends à droite au mexicain où tu as emmené Sarah, la fois où elle était habillée comme une pétasse. Cède le passage là où tu as fait une pipe au vieux. »

Victor : Qu… hein ?!

Moi : Voilà. Tu vois, c’est l’inconvénient de ce système, parce qu’en fait j’avais fait un détour à cause d’un vieux qui avait cassé sa pipe en pleine rue. Mais comme les robots sont incapables de comprendre les subtilités de notre langage humain, il y aurait un temps d’adaptation. Il faudrait qu’on mette ça dans la brochure. Une sorte d’avertissement.

Victor : Si tu disparais, je devrai attendre combien de temps avant de pouvoir recommencer à voir des filles ?

Moi : Ça va, je dis juste que le robot n’est pas encore parfait. Mais c’est pas loin. Enfin je l’utiliserais pas si ta mère est dans la voiture, on sait jamais. OH PUTAIN JE VOIS CARRÉMENT OÙ JE SUIS !

Victor : Tu es là où tu as fait une pipe à un vieux ?

Moi : Non. Je suis près de l’immeuble abandonné qui a l’air de sortir tout droit de Sarajevo.

Victor : Hum. Le reste du monde appelle cet endroit « Dallas Street ». Alors tu vois comment rentrer, maintenant ?

Moi : Je crois. À gauche au bar glauque qui ressemble à un décor de Scooby-Doo, à gauche là où on a cru voir un sanglier, mais en fait c’était un chien, puis à droite au carrefour où j’ai vomi l’autre fois. C’est ça ?

Victor : Tu me donnes la migraine.

Moi : ATTENDS MEC, ON VA DEVENIR MILLIONAIRES.

Épilogue : Je suis finalement arrivée à la maison*. Victor a scotché le GPS à mon pare-brise et a refusé de me construire un robot. À croire qu’il veut qu’on reste pauvres.

*Note : Quand je dis « arrivée à la maison » je veux dire que je me suis perdue de nouveau et que Victor a dû venir me chercher pour que je le suive jusque chez nous. Ce qui compte, c’est que je suis arrivée. Et que je n’avais pas de robot. C’est un peu nul, toute cette histoire. Victor dit qu’il est d’accord, mais sans doute pas pour les mêmes raisons.

Tuesday, December 15, 2009

Le homard n’a rien à faire dans nos assiettes

(texte original : « Why lobsters aren't food » de Dave Barry, publié en 1996 dans le Miami Herald et disponible en ligne ici)

J’ai le plaisir d’annoncer que la communauté scientifique a finalement cessé de perdre son temps en réflexions sur les origines de l’univers, pour se pencher sur un problème autrement plus important : le homard n’est-il rien d’autre qu’un gros insecte ?

J’ai toujours maintenu que c’est le cas. Je ne vois personnellement aucune différence notable entre le homard et, par exemple, la blatte souffleuse de Madagascar, une variété de cafard capable d'atteindre la taille approximative de Gérard Depardieu. Imaginez qu’un groupe d’amis est attablé dans un grand restaurant, et que le serveur apporte à chaque convive une blatte souffleuse de Madagascar, fraichement tuée et grillée ; combien s’attacheraient un bavoir autour du cou en se léchant les babines, avant d'attaquer la bête avec une fourchette et du beurre ? Aucun. Ils se rueraient tous hors du restaurant, entre deux hauts-le-coeur, pour chercher d’urgence un avocat de garde spécialiste en dommages et intérêts. Et pourtant, tous ces braves gens auraient volontiers payé 34,90 euros chacun pour manger un homard, bien que cet animal présente les trois caractéristiques biologiques d’un insecte, à savoir :

1. Il a bien plus de pattes que nécessaire
2. Il ne viendrait à personne l’idée de le caresser
3. Il est incapable d’obéir à des ordres simples, comme « au pied ! »

Je ne mange pas de homard, mais il s’en est fallu de peu un certain soir. J’étais en visite chez mes bons amis Henri et Véronique Lejeune, qui habitent en Haute-Normandie (rappelons la devise de la région : « Froide, Mais Humide »). Étant des amis généreux et hospitaliers, Henri et Véronique ont été acheter une surprise pour leur invité : le plus gros homard de l’histoire de l’océan Atlantique, un homard qui avait sans doute coulé de nombreux navires de commerce avant d’être capturé par des sous-marins nucléaires. C’était un homard assez gros pour nourrir un village normand pendant un an, et il gisait là, étalé sur mon assiette, avec d’effrayantes pattes d’insecte et des yeux dans tous les sens, tandis qu’Henri et Véronique, mes chers hôtes, me souriaient gaiement en attendant que je mette cette chose dans ma bouche.

Vous vous souvenez, lorsque vous étiez enfant et que votre maman refusait que vous sortiez de table avant d’avoir fini vos épinards, alors vous preniez votre fourchette et en faisiez de la purée dans l’espoir d’obtenir des particules molécules d’épinards assez petites pour s’évanouir dans l’air ? C’est un peu ainsi que j’ai approché la question du homard géant.

« Mmmm-MMMM ! » ai-je déclaré en décortiquant la chose qui se trouvait dans mon assiette ; et quand mes amis avaient le dos tourné, je cachais les morceaux sous le pain, dans la salade, dans ma serviette, partout où c’était possible.

Henri et Véronique, je vous aime beaucoup, et si jamais vous découvriez un problème électrique causé par trois kilos de chair de homard cachés dans la prise de courant de votre salle à manger, sachez que j’en serais vraiment désolé.

En tout cas, et pour en venir au fait, les homards ont longtemps été soupçonnés, du moins par moi-même, d’être en réalité des insectes ; c’est pour cette raison précise que mon collègue journaliste Steve Doig m’a fait tant plaisir en me montrant l’autre jour un article de l’Associated Press concernant une découverte faite par des chercheurs de l’université du Wisconsin.

L’article, intitulé « Une parenté génétique entre les araignées, les mouches et les homards », indiquait non seulement que toutes ces petites bêtes avaient exactement le même gène, mais qu’elles descendaient toutes d’un unique ancêtre commun : Thierry Ardisson.

Non, mais sérieusement, l’article précisait que cet ancêtre commun « ressemblait probablement à un ver ». Miam ! Passez-moi le beurre à l’ail !

Et ce n’est pas tout. À en croire des articles envoyés par nos lecteurs les plus attentifs (qui ont lu la une du New York Times), des chercheurs danois ont récemment découvert que sur les lèvres de certains homards vivent des petits organismes aussi bizarres que dégoutants. Parfaitement. J’ignorais que les homards avaient des lèvres, mais il s’avère qu’ils en ont bel et bien, et que ces lèvres constituent d’ailleurs le terrain de jeux d’une minuscule créature appelée Symbion pandora (littéralement « une paire de mots grecs »). La communauté zoologique mondiale, qui ne sort apparemment pas beaucoup, est en effervescence autour de cette Symbion pandora car son mode de reproduction est unique au monde.

Selon plusieurs articles, lorsque Symbion pandora est prête à avoir un petit, son système digestif « se désagrège et se reconstitue sous la forme d’une larve », que le parent met au monde en l’« expulsant » de son « postérieur ». En d’autres termes, et corrigez-moi si je me trompe, cette bestiole accouche en faisant caca.

Résumons donc : si vous êtes à la recherche d’un mets qui 1) est de la même famille que l’araignée, 2) descend d’un ver, et 3) a sur les lèvres des organismes mutants qui se reproduisent en faisant caca… alors c’est un homard qu’il vous faut. En ce qui me concerne, j’ai la ferme intention de continuer d’éviter ces bêtes, tout comme j’évite les huitres, qui sont manifestement – la science devrait se pencher là-dessus ensuite – de la famille de la glaire. Vous avez déjà vu des huitres se reproduire ? Moi non plus, mais je ne serais pas surpris que le processus implique des trous de nez géants au fond de l’océan.

Et ne me parlez pas de palourdes. L’autre jour, j’étais assis en face d’une personne qui, de son plein gré, mangeait des palourdes. Elle ôtait la coquille et là, au grand jour, se trouvait cette palourde toute nue, ses organes exposés à la vue de tous comme dans un cours de biologie. Selon moi, si les restaurants tiennent à servir ça, ils devraient au moins les couvrir de petits pagnes.

Je suis convaincu que si Mère Nature nous a donné des yeux, c’est justement pour que nous puissions éviter ces aliments. Mère Nature avait de toute évidence prévu que nous puisions alimentation dans la catégorie « reconstitué » qui inclut les hamburgers, le poisson pané et les McNuggets – c’est à dire des aliments dont les organes ont été enlevés dans un endroit très éloigné, de préférence sur un autre continent. Voilà ma position sur le sujet, et si un représentant du marché du homard, de la palourde ou de la glaire en coquille a quelque chose à répondre, je propose la solution suivante : publiez votre propre chronique.