Tuesday, December 15, 2009

Le homard n’a rien à faire dans nos assiettes

(texte original : « Why lobsters aren't food » de Dave Barry, publié en 1996 dans le Miami Herald et disponible en ligne ici)

J’ai le plaisir d’annoncer que la communauté scientifique a finalement cessé de perdre son temps en réflexions sur les origines de l’univers, pour se pencher sur un problème autrement plus important : le homard n’est-il rien d’autre qu’un gros insecte ?

J’ai toujours maintenu que c’est le cas. Je ne vois personnellement aucune différence notable entre le homard et, par exemple, la blatte souffleuse de Madagascar, une variété de cafard capable d'atteindre la taille approximative de Gérard Depardieu. Imaginez qu’un groupe d’amis est attablé dans un grand restaurant, et que le serveur apporte à chaque convive une blatte souffleuse de Madagascar, fraichement tuée et grillée ; combien s’attacheraient un bavoir autour du cou en se léchant les babines, avant d'attaquer la bête avec une fourchette et du beurre ? Aucun. Ils se rueraient tous hors du restaurant, entre deux hauts-le-coeur, pour chercher d’urgence un avocat de garde spécialiste en dommages et intérêts. Et pourtant, tous ces braves gens auraient volontiers payé 34,90 euros chacun pour manger un homard, bien que cet animal présente les trois caractéristiques biologiques d’un insecte, à savoir :

1. Il a bien plus de pattes que nécessaire
2. Il ne viendrait à personne l’idée de le caresser
3. Il est incapable d’obéir à des ordres simples, comme « au pied ! »

Je ne mange pas de homard, mais il s’en est fallu de peu un certain soir. J’étais en visite chez mes bons amis Henri et Véronique Lejeune, qui habitent en Haute-Normandie (rappelons la devise de la région : « Froide, Mais Humide »). Étant des amis généreux et hospitaliers, Henri et Véronique ont été acheter une surprise pour leur invité : le plus gros homard de l’histoire de l’océan Atlantique, un homard qui avait sans doute coulé de nombreux navires de commerce avant d’être capturé par des sous-marins nucléaires. C’était un homard assez gros pour nourrir un village normand pendant un an, et il gisait là, étalé sur mon assiette, avec d’effrayantes pattes d’insecte et des yeux dans tous les sens, tandis qu’Henri et Véronique, mes chers hôtes, me souriaient gaiement en attendant que je mette cette chose dans ma bouche.

Vous vous souvenez, lorsque vous étiez enfant et que votre maman refusait que vous sortiez de table avant d’avoir fini vos épinards, alors vous preniez votre fourchette et en faisiez de la purée dans l’espoir d’obtenir des particules molécules d’épinards assez petites pour s’évanouir dans l’air ? C’est un peu ainsi que j’ai approché la question du homard géant.

« Mmmm-MMMM ! » ai-je déclaré en décortiquant la chose qui se trouvait dans mon assiette ; et quand mes amis avaient le dos tourné, je cachais les morceaux sous le pain, dans la salade, dans ma serviette, partout où c’était possible.

Henri et Véronique, je vous aime beaucoup, et si jamais vous découvriez un problème électrique causé par trois kilos de chair de homard cachés dans la prise de courant de votre salle à manger, sachez que j’en serais vraiment désolé.

En tout cas, et pour en venir au fait, les homards ont longtemps été soupçonnés, du moins par moi-même, d’être en réalité des insectes ; c’est pour cette raison précise que mon collègue journaliste Steve Doig m’a fait tant plaisir en me montrant l’autre jour un article de l’Associated Press concernant une découverte faite par des chercheurs de l’université du Wisconsin.

L’article, intitulé « Une parenté génétique entre les araignées, les mouches et les homards », indiquait non seulement que toutes ces petites bêtes avaient exactement le même gène, mais qu’elles descendaient toutes d’un unique ancêtre commun : Thierry Ardisson.

Non, mais sérieusement, l’article précisait que cet ancêtre commun « ressemblait probablement à un ver ». Miam ! Passez-moi le beurre à l’ail !

Et ce n’est pas tout. À en croire des articles envoyés par nos lecteurs les plus attentifs (qui ont lu la une du New York Times), des chercheurs danois ont récemment découvert que sur les lèvres de certains homards vivent des petits organismes aussi bizarres que dégoutants. Parfaitement. J’ignorais que les homards avaient des lèvres, mais il s’avère qu’ils en ont bel et bien, et que ces lèvres constituent d’ailleurs le terrain de jeux d’une minuscule créature appelée Symbion pandora (littéralement « une paire de mots grecs »). La communauté zoologique mondiale, qui ne sort apparemment pas beaucoup, est en effervescence autour de cette Symbion pandora car son mode de reproduction est unique au monde.

Selon plusieurs articles, lorsque Symbion pandora est prête à avoir un petit, son système digestif « se désagrège et se reconstitue sous la forme d’une larve », que le parent met au monde en l’« expulsant » de son « postérieur ». En d’autres termes, et corrigez-moi si je me trompe, cette bestiole accouche en faisant caca.

Résumons donc : si vous êtes à la recherche d’un mets qui 1) est de la même famille que l’araignée, 2) descend d’un ver, et 3) a sur les lèvres des organismes mutants qui se reproduisent en faisant caca… alors c’est un homard qu’il vous faut. En ce qui me concerne, j’ai la ferme intention de continuer d’éviter ces bêtes, tout comme j’évite les huitres, qui sont manifestement – la science devrait se pencher là-dessus ensuite – de la famille de la glaire. Vous avez déjà vu des huitres se reproduire ? Moi non plus, mais je ne serais pas surpris que le processus implique des trous de nez géants au fond de l’océan.

Et ne me parlez pas de palourdes. L’autre jour, j’étais assis en face d’une personne qui, de son plein gré, mangeait des palourdes. Elle ôtait la coquille et là, au grand jour, se trouvait cette palourde toute nue, ses organes exposés à la vue de tous comme dans un cours de biologie. Selon moi, si les restaurants tiennent à servir ça, ils devraient au moins les couvrir de petits pagnes.

Je suis convaincu que si Mère Nature nous a donné des yeux, c’est justement pour que nous puissions éviter ces aliments. Mère Nature avait de toute évidence prévu que nous puisions alimentation dans la catégorie « reconstitué » qui inclut les hamburgers, le poisson pané et les McNuggets – c’est à dire des aliments dont les organes ont été enlevés dans un endroit très éloigné, de préférence sur un autre continent. Voilà ma position sur le sujet, et si un représentant du marché du homard, de la palourde ou de la glaire en coquille a quelque chose à répondre, je propose la solution suivante : publiez votre propre chronique.

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